« Les orgueilleux m’ont appris l’humilité, les impatients m’ont appris la lenteur, les pervers m’ont appris la droiture et, quant aux rares qui avaient une âme simple, ils m’ont appris à lire dans leur cœur les énigmes de l’univers visible et invisible aussi facilement qu’un nouveau-né lit sur le visage de sa mère. »
Christian Bobin, Ressusciter
Le mot « dépendance » fait peur. Car on entend derrière lui : abaissement, asservissement, fragilité, faiblesse ; on pense aux « personnes âgées dépendantes »…
Mais la dépendance n’est pas que cela. Il n’y a pas d’un côté la bonne indépendance, et de l’autre la mauvaise dépendance. De toute façon, nous sommes tous dépendants : de la nourriture, de l’eau, du soleil, de l’amour, du bonheur… Sans toutes ces dépendances, et sans les personnes qui nous aident à y accéder, nous serions morts, ou morts-vivants, depuis longtemps.
Et puis, la dépendance s’inscrit dans le cadre plus vaste de l’interdépendance. Tout est à double sens, et notre vie n’est qu’une histoire de dépendances réciproques, avec les autres humains, avec le monde qui nous entoure. Nous sommes ainsi totalement dépendants de la nature, mais la nature dépend aussi de nous, et de notre conscience écologique. Nos enfants dépendent de nous, mais nous dépendons aussi d’eux : s’ils disparaissaient, notre vie n’aurait plus de sens…
Nous prenons plus clairement conscience de ces multiples interdépendances, lorsque nous sommes malades, en difficulté, en souffrance, et que nous avons un besoin vital de recevoir de l’aide, des conseils, de l’amour. Ou bien, à l’inverse, lorsque nous en donnons aux autres, quand ils sont en fragilité…
La prise de conscience de nos dépendances et interdépendances peut nous aider à accéder à plus de lucidité et de bonheur. Nous aider à dissiper certaines illusions, et nous ouvrir à de nouveaux horizons…
Oui, ne craignons pas d’ouvrir les yeux sur nos dépendances. Aucun de nos succès n’est dû qu’à nous seul : il y a toujours eu des personnes qui nous ont formés, aidés, encouragés, et sans qui jamais nous n’aurions pu aller jusqu’au succès. Pratiquons la gratitude : reconnaissons avec joie nos dettes et nos dépendances, au lieu de cultiver le sentiment individualiste de notre valeur, hors-sol et hors-liens. Après la pratique de la gratitude, il y a celle de la responsabilité : quelles sont les personnes qui dépendent, au moins partiellement, de moi ? qui ont besoin de moi, régulièrement ou de temps en temps ? où sont-elles, parmi mes proches, mes collègues, les humains ? Que m’inspire la prise de conscience que, sans moi, leur vie serait un peu moins belle ?
Rien n’est purement indépendant. C’est l’un des fondements de la philosophie bouddhiste (les maîtres bouddhistes parlent de « coproduction conditionnée »). C’est aussi du simple bon sens, et comprendre l’interdépendance, cela peut nous faire du bien. Ainsi, pendant longtemps, les thérapeutes ont eu tendance à baser le développement de l’estime de soi sur le renforcement des compétences et le sentiment de la valeur personnelle : on encourageait les patients à se remémorer leurs points forts, et leurs qualités. Aujourd’hui, après nombre de travaux scientifiques, on développe aussi l’estime de soi par la conscience de l’interdépendance : il s’agit d’ouvrir régulièrement les yeux sur toutes les ressources, les aides, les présences et les bienveillances autour de nous, dont le bon usage nous rendra bien plus efficaces et heureux que le fait de ne croire qu’en nous-mêmes…
Un patiente m’a un jour appris ce proverbe : « Seul on va plus vite ; ensemble, on va plus loin » Elle avait raison : on va plus loin, et on y va plus joyeux…
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