Seize ans après les faits, les responsables des 353 disparus du Beach au Congo Brazzaville, n’ont toujours pas été identifiés et jugés pour leur crime. Confiée à la justice française depuis 2001, l’enquête suit son cours difficilement. Entre inquiétude et espoir, les familles des victimes et les militants des droits de l’Homme ne veulent rien lâcher. État des lieux en ce 5 mai, date anniversaire du massacre.
« L’envie que la vérité sorte pour les victimes et leurs familles est ce qui nous a motivé et nous motive encore à l’heure actuelle dans cette affaire ». C’est ainsi que répond Trésor Nzila, directeur exécutif de l’Observatoire congolais des droits de l’Homme (OCDH) à ceux qui lui demandent comment lui et son équipe ont réussi à garder espoir pendant tant d’années. Seize ans qu’ils luttent pour que soient jugés correctement les auteurs de ce qu’ils appellent le « massacre du Beach » survenu entre le 5 et le 14 mai 1999 au débarcadère fluvial de Brazzaville, au Congo.
UN MASSACRE ORCHESTRÉ
Début mai 1999, après deux années de guerre civile opposant les milices du putschiste Denis Sassou Nguesso à l’armée du président d’alors, Pascal Lissouba, les premiers réfugiés ayant fuit les combats sont de retour. Ces derniers empruntent la « traversée du Beach », une navette fluviale qui effectue les liaisons entre Brazzaville et Kinshasa, capitale du Congo voisin (ex- Zaïre). Encadrée par le Haut commissariat aux réfugiés (HCR) et les autorités des deux pays, cette première salve de retour compte environ 1 500 personnes. Elles sont accueillies par des dizaines de personnalités gouvernementales et militaires. Une fois les officiels partis, des militaires commencent à mettre à part plusieurs groupes d’hommes (jeunes et adultes). Pour la plupart originaires du Pool, une région du sud Congo partisane du président en exil Lissouba, ces derniers sont envoyés par convoi dans la brousse alentour et vers le palais de la présidence de Mpila. Plus personnes ne les reverra. « Aucune dépouille des victimes n’a été retrouvée », souligne le directeur de l’OCDH. À ce jour, 353 disparitions sont enregistrées par son association. Un chiffre qui tend à augmenter chaque année au fil du signalement des familles.
Vêtement à la gloire du président Sassou Nguesso
Un vêtement à la gloire de Denis Sassou Nguesso, autoproclamé président du Congo depuis 1997
SIMULACRE DE PROCÈS AU CONGO BRAZZAVILLE
« Nous luttons contre le silence et la désinformation des autorités, qui tentent depuis le début de faire oublier l’affaire », explique le directeur de l’OCDH. Un premier procès est ouvert par la justice congolaise en 2000. Pourtant, celui-ci tourne très vite à « la mascarade », selon Christian Loubassou, président de l’antenne congolaise de l’Action chrétienne contre la torture (Acat). En témoigne le jugement rendu en 2005 : seize dirigeants (cadres d’États et officiers supérieurs) seront reconnus coupables de la disparition de seulement 85 personnes. Mais vu leurs fonctions au sein du gouvernement, ces responsables seront dispensés de leurs peines respectives, et reprendront leur activité normale. Quant aux indemnisations prévues par la justice congolaise, elles sont jugées « ridicules au regard du préjudice » par les défenseurs des droits l’homme soutenant les familles de victimes. « Un vrai scandale, ajoute le président de l’Acat-Congo. De plus, ce verdict collectif n’a pas du tout identifié les auteurs précis de l’exaction. Celui-ci se contente juste de reconnaître qu’il y a eu un défaut dans la chaîne de commandement militaire. Les vrais responsables sont passés entre les mailles du filet ».
Nobert Dabira
Nobert Dabira, inspecteur général des Armées au moment des faits
LA JUSTICE FRANÇAISE S’EMPARE DU DOSSIER
Soutenant l’OCDH depuis le début de l’affaire, la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) dépose plainte à la justice française pour « torture, disparitions forcées et crimes contre l’humanité » en décembre 2001. En 2002, une instruction est ouverte, au nom du principe de la compétence universelle. « Un pas important pour nous. insiste M. Nzila de l’OCDH. Nous considérons la justice française comme la seule véritablement compétente pour juger les auteurs de ce massacre car elle est beaucoup plus indépendante que celle de notre pays. Surtout dans cette affaire qui dérange grandement le pouvoir en place ». Après plusieurs rebondissements dans la procédure au gré de pressions diplomatiques diverses, l’instruction est toujours en cours à l’heure actuelle. Seulement deux responsables de l’époque, le général Norbert Dabira, inspecteur général des Armées et Jean-François Ndengue, directeur de la police nationale congolaise ont été mis en examen, puis libérés.
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