Qu’est-ce qui pousse tant d’individus, de couples, de familles ou de groupes d’amis à changer durablement de pays ? Est-ce une contrainte politique, un conflit armé, une pression sociale, une raison économique, une mesure juridique, un problème de santé, un changement climatique, un projet de formation ? Les États donnent des réponses simples à ces questions. Les titres de séjours qu’ils délivrent sont divisés en catégories bien tranchées. Dans la vie réelle, toutefois, les motivations sont complexes (où classer le désir d’émancipation, par exemple ?). Elles peuvent se combiner ou changer au fil du temps. Les unions et les naissances créent des situations mixtes. Le même type de dossier ne sera pas traité de la même façon par le « pouvoir d’appréciation » du préfet. L’admission au séjour dépend aussi du soutien local apporté par les associations, qui peut être variable.
Entre le maquis des lois, décrets, circulaires et instructions, d’une part, et le jeu des aléas et des impondérables, de l’autre, il y a place pour la capacité d’agir. Les migrant.e.s e sont des porteurs de projets. Loin d’être simplement une charge pour le pays d’accueil, ce sont aussi, au fil du cycle de vie, des producteurs, des cotisants, des contribuables, des épargnants, des consommateurs…
Comment cerner un phénomène aussi divers que la migration internationale ? En mobilisant un large éventail de disciplines : démographie, géographie, histoire, économie, droit, sociologie, anthropologie, science politique... Une première approche des migrations est quantitative : il faut préciser les ordres de grandeur, peser les facteurs positifs ou négatifs de l’insertion, mener des comparaisons dans le temps et dans l’espace, mesurer l’ampleur des inégalités et des discriminations, que ce soit par voie d’enquêtes ou par des testings à grande échelle.
Mais l’enquête doit aussi se faire qualitative. C’est le seul moyen de cerner les motivations et les attentes, de décrire les épreuves et les réussites, d’interroger les systèmes de valeurs et les perceptions. Nous manquons d’imagination sur ce point. Il faut s’intéresser davantage aux archives privées (échange de courriers, transmission d’objets et de souvenirs), constituer des recueils de récits de vie, concevoir aussi des cartes ou des dessins d’un nouveau genre, qui retracent, fût-ce partiellement, la dynamique des parcours individuels avec leurs tournants et leurs ruptures.
Reste à s’interroger sur les scientifiques eux-mêmes et, notamment, sur la place qu’y occupent les chercheurs étrangers ou issus de la migration. Cette qualité ne les dispense pas d’acquérir les méthodes des sciences sociales, mais, une fois cette condition remplie, il est indéniable que leur expérience contribue à renouveler le regard. On a pu voir ainsi qu’une enquête française sur la mobilité internationale des élites gagnait beaucoup à mobiliser des chercheurs étrangers ou issus de l'immigration. Dans ce domaine, la recherche française a encore du chemin à faire.
Avec :
- Olivier Clochard, géographe (Migrinter - CNRS, université de Poitiers)
- Lama Kabbanji, démographe (IRD)
Modération : Caroline Lachowsky, journaliste, RFI
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