L’auteur du « Chat du Rabbin » rêvait de rencontrer l’illustrateur du Petit Nicolas mais n’avait jamais osé faire le premier pas.
Jusqu’à il y a quelques jours.Par Virginie Le GuayLe rendez-vous a eu lieu chez Jean-Jacques Sempé un mardi de janvier à l’heure de l’apéritif. Arrivé une fois n’est pas coutume en avance, Joann Sfar ne cherche même pas à dissimuler son émotion. « Je suis intimidé comme un gosse » lâche-t-il, en refermant la porte de l’ascenseur. Il raconte comment il a croisé, il y a vingt ans, totalement par hasard, peu après son arrivée à Paris, Jean-Jacques Sempé dans une grande librairie de Paris. « Je n’ai, bien sûr, pas eu l’audace de me présenter. Je n’étais, alors, qu’un simple étudiant aux Beaux-Arts. Mais cette rencontre m’est apparue comme un signe du destin. » A lire: Joann Sfar - Le surdouéDepuis, cent fois, leurs chemins se sont croisés sans que, jamais, de vraie conversation ne s’engage. Trop de monde, pas assez de temps, des vies accaparantes, le sentiment que la prochaine fois sera la bonne… Se rend-on seulement compte du temps qui passe ? Aujourd’hui, les voici en tête-à-tête. Enfin. Jean-Jacques Sempé accueille avec modestie, presque étonnement, les confidences de son cadet pour qui il a toujours été un « maître » et un « exemple ». « Vous êtes trop gentil. Adorable. Revenez souvent me voir. Mais c’est beaucoup d’honneur. Je ne mérite pas autant de compliments ! ». Jean-Jacques Sempé avoue son « immense timidité » rit légèrement, comme pour cacher son embarras. Mais le contact est simple, fluide. Malgré la différence d’âge -presque 40 ans-, les deux hommes sont animés par la même folle passion de leur métier. Il leur est facile d’échanger leurs angoisses devant la page blanche, leurs difficultés à trouver le bon mouvement de crayon, leurs sources d’inspiration favorites: les filles, les voitures, l’immensité de la ville, les enfants… Joann Sfar connaît « intimement », « de l’intérieur même » le travail de Jean-Jacques Sempé. Il en parle abondamment, précisément. Petit, il avait subtilisé de la bibliothèque familiale, « Saint Tropez », le 6e album de Sempé, resté depuis une de ses bandes dessinées cultes. « Je l’ai regardé et re-regardé des centaines de fois. Je n’ai jamais compris comment vous arrivez à dessiner le vent, le soleil, la douceur de la lumière, la fluidité des corps. »A lire: "Si Dieu existe" - Joann Sfar: "On a tué des gentils"L’heure du déjeuner approche, les deux hommes décident d’aller déjeuner dans une des « cantines » favorites de Sempé, « Chez Wadja », rue de la Grande Chaumière. Là-bas, Sempé est chez lui. Devant des côtes d’agneau grillés et une bouteille de « La grande Abbesse », il raconte son « engagement » tout jeune dans l’armée « parce que je ne savais où aller », les circonstances dans lesquelles il a connu Kiraz (« je n’avais pas encore vingt ans »), son attachement déraisonnable à sa petite chatte Olive, aujourd’hui disparue. « C’était la seule habitante de la maison qui, lorsque je jouais du piano, arrivait aussitôt dans la pièce. Tous les autres s’enfermaient dans leurs chambres ». Ils dissertent indéfiniment sur la différence entre le dessin humoristique et la BD « C’est comme le jazz et la java » tranche finalement Sempé. Le temps s’écoule doucement. A plusieurs reprises, Joan Sfar sort des feutres à pointe fine de sa poche et dessine sur des serviettes en papier. Comme pour immortaliser ce moment.
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