Par Michel Cazenave et Josette Colin.
Émission diffusée sur France Culture le 18.11.1993 .
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Intervenants :
- Alain Segonds : philologue, philosophe et historien des sciences, auteur notamment de 'Jean Kepler, Le secret du monde', Belles Lettres, 1984.
- Isabelle Pantin : professeur d'histoire du livre et de la littérature de la Renaissance à l'École normale supérieure, directrice du Département Littérature et langages de École normale supérieure, chercheur associé à l'Observatoire de Paris (CNRS, Syrte), dans l'équipe d'histoire de l'astronomie
- Jean-Pierre Verdet : mathématicien, astronome, historien de l’astronomie, auteur de nombreux ouvrages sur l'histoire de l'astronomie.
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Beaucoup plus que Galilée, intronisé dans ce rôle par le positivisme triomphant de la fin du XIXe siècle, c'est certainement Kepler qui est à l'origine au XVIIe siècle, de toute la science moderne. Il ne se contente pas en effet de reprendre l'hypothèse de Copernic sur l'héliocentrisme mais, chassant définitivement la Terre du centre du monde, bouleversant de la sorte la vision de l'univers qu'on nourrissait depuis la plus haute antiquité, il n'a de cesse de montrer que cette astronomie nouvelle qui se trouve ainsi fondée ne se contente plus de décrire, plus ou moins approximativement, le mouvement apparent des astres, mais surtout qu'elle les explique en en exprimant les lois. Car c'est bien là la révolution qu'introduit Kepler : contre le jeu des qualités que décrivait la physique d'Aristote régnant encore à l'époque, en maîtresse, il bâtit une physique toute nouvelle où la notion de loi fait apparition sous la forme mathématique qu'elle ne quittera jamais plus.
Dieu, pour Kepler, est géomètre : c'est pénétrer ses desseins que de découvrir les relations algébriques et les formes géométriques selon lesquelles, sous son impulsion,l'univers est structuré. Pour accomplir ce pas décisif, Kepler doit néanmoins "régresser" d'Aristote à Platon et à Pythagore, vers une mystique des nombres et des figures qui légitiment la nouveauté radicale de sa demande. Il opte, ce faisant, pour le thème récurrent de l'harmonie du monde et de cette musique des sphères que peut seul entendre, et comprendre, celui dont l'âme s'est élevée jusqu'à la contemplation de l'architecture divine. Ou comment prendre appui sur les plus vieilles intuitions afin de créer du neuf.
Le monde après Kepler, ne sera plus jamais le même. Ce sera de ses trois lois, en en faisant venir toutes les possibilités à jour, que Newton, à la fin du même siècle, tirera sa mécanique céleste et assièra définitivement la nouvelle conception du monde dont nous sommes encore aujourd'hui à des degrés divers, les héritiers. Pourtant, à cause même de sa mystique d'inspiration platonicienne, du baroque de son style, de la multiplicité de ses intérêts (il étudie aussi bien la constitution des cristaux de neige, qu'il formule scientifiquement les premières grandes lois de l'optique) à cause du roman de sa vie qui le voit accourir à la défense de sa mère accusée de sorcellerie, et mourir à la fin, épuisé et ruiné, dans une tempête de neige, on avait fini, dans l'histoire des sciences officielles, par occulter son rôle et sa place, et l'introniser dans la situation d'un "bizarre" qu'on ne saluait plus que rituellement : dans sa réhabilitation actuelle, c'est le mouvement même de sa pensée, de sa vie et de son oeuvre que l'on va donc tenter de retrouver ici, en rendant à Kepler ce qui est dû à Kepler.
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