« Pourquoi donc y a-t-il l'étant et non pas plutôt rien? »
Telle est la question. Et il y a lieu de croire que ce n'est pas une question arbitraire. « Pourquoi donc y a-t-il l'étant et non pas plutôt rien? » Telle est manifestement la première de toutes les questions. La première, elle ne l'est pas, bien entendu, dans l'ordre de la suite temporelle des questions.
Au cours de leur développement historique à travers le temps les individus, aussi bien que les peuples, posent beaucoup de questions. Ils recherchent, ils remuent, ils examinent quantité de choses, avant de se heurter à la question :
« Pourquoi donc y a-t-il l'étant et non pas plutôt rien? »
Il arrive à beaucoup de ne jamais se heurter à cette question, s'il est vrai qu'il s'agit, non pas seulement d'entendre et de lire cette phrase interrogative comme simplement énoncée, mais de demander la question, c'est-à-dire de faire surgir son horizon, de la poser, de se forcer à pénétrer dans l'horizon de ce questionner.
Et pourtant! Chacun de nous se trouve quelque jour, peut-être même plusieurs fois, de loin en loin, effleuré par la puissance cachée de cette question, sans d'ailleurs bien concevoir ce qui lui arrive. A certains moments de grand désespoir par exemple, lorsque les choses perdent leur consistance et que toute signification s'obscurcit, la question surgit. Peut-être ne nous a t-elle touché qu'une fois, comme le son amorti d'une cloche, qui pénètre en notre être-Là, et se perd de nouveau peu à peu. La question est la, dans une explosion de joie, parce qu'alors toutes choses sont métamorphosées et comme pour la première fois autour de nous, au point qu'il nous serait plus facile, semble-t-il, de concevoir qu'elles ne sont pas que de concevoir qu'elles sont, et sont dans l'état où elles sont. La question est là, dans un moment d'ennui, lorsque nous sommes également éloignés du désespoir et de l'allégresse, mais que le caractère obstinément ordinaire de l'étant fait régner une désolation dans laquelle il nous paraît indifférent que l'étant soit ou ne soit pas, ce qui fait de nouveau retentir sous une forme bien particulière la question : « Pourquoi donc y a-t-il l'étant et non pas plutôt rien? »
Heidegger : Introduction à la métaphysique, Gallimard, col. Tel, 2004, pp. 13-14.
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